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ORDRE MARTINISTE DES RITES UNIS
7 août 2010

Les Frères Initiés de l'Asie. VII

SOURCES ROBERT VANLOO

theoreticus

  En 1781 parut à Nuremberg sous la signature d'un certain Magister Pianco un livre intitulé Der Rosenkreuzer in seiner Blösse, ouvrage polémique dans lequel l'auteur reprochait à l'Ordre de la Rose-Croix d'Or de ne pas admettre en son sein les Juifs, d'avoir une échelle de grades tout à fait erronée et e faire indûment référence dans ses enseignements aux sages de l'Antiquité. Le Frère Schleiss von Löwenfeld répliqua aussitôt dans Der im Lichte der Warheit strahlende Rosenkreuser (Leipzig, 1782) en remarquant que Pianco avait été exclu de l'Ordre alors qu'il était membre seulement des premiers degrés, l'accusant d'apostasie[9]. Pourtant un autre pamphlet publié en 1781 et intitulé Ueber Jesuiten, Freymaurer und deutsche Rosencreutzer avait également jeté la suspicion sur les Rose-Croix. L'auteur, signant sous le pseudonyme d'Aloisus Maier n'était autre qu'Adolf Freiherr von Knigge, un des associés de Weishaupt. Comme le précédent, cet ouvrage reprochait aux Rose-Croix leur obscurantisme et leur absence d'ouverture aux Lumières, favorisant ainsi l'œuvre des jésuites. L'année 1785, celle de la Freimaurerpatent, verra paraître un autre pamphlet rédigé sur le modèle des Lettres persanes de Montesquieu, intitulé Die theoretischen Brüder oder zweite Stuffe der Rosenkreuzer und Ihrere Instruktion, mettant en scène un despote éclairé (Schah Gebal), son conseiller philosophe des Lumières (Danischmemde) et enfin un Rose-Croix réactionnaire (Aeschmann) partisan de l'obscurantisme et de l'irrationnel. Peu après s'engagera dans les colonnes du Berlinische Monatschrift une discussion entre le philosophe Christian Garve et J.E. Biestere, coéditeur du périodique, qui s'alarmait de l'influence croissante des Rose-Croix d'Or, Garve demeurant quant à lui plutôt sceptique quant au réel pouvoir occulte de telles sociétés secrètes. Et le Franc-Maçon Biester de lui rétorquer de sérieuses critiques.

De telles critiques, jointes à la déception de nombreux Rose-Croix d'Or de voir leurs responsables s'en prendre à l'Ordre des Illuminés de Weishaupt, engendrèrent de nombreuses démissions. En 1787, date supposé d'un nouveau cycle pour les Roste-Croix d'Or, est décrété dans toutes les Loges un silanum, c'est-à-dire la suspension des travaux. Aucun signe ne fut jamais donné pour leur reprise, même si l'une ou l'autre Loge continua malgré tout à fonctionner. Sans doute, également, l'arrivée en Prusse aux affaires publiques des Rose-Croix Wöllner et Bischoffswerder rendait-elle désormais le travail des Loges secondaire, l'action politique et religieuse des Frères pouvant désormais s'accomplir au grand jour d'une façon officielle.

  Beaucoup avaient cru déceler sous le pseudonyme de Magister Pianco un ancien membre des Rose-Croix d'Or. Hans Heinrich von Ecker und Eckhoffen, alias Nichneri Vekorth dans l'Ordre. En 1782, celui-ci avait publié pourtant un démenti catégorique dans Der im Lichte der Wahrheit strahlende Rosenkreuzer. D'ancienne noblesse bavaroise, mais désargenté, Hans Heinrich et son jeune frère Hans Carl n'en possédaient pas moins de nombreuses relations avec les milieux du pouvoir en Bavière et en Autriche, ainsi que dans la Franc-Maçonnerie. Déplorant que cette dernière, tout comme la Rose-Croix d'Or n'acceptât qu'en de trop rares exceptions les Juifs en son sein, les frères von Ecker und Eckhoffen émirent le projet de créer à l'intérieur de la Maçonnerie allemande une structure qui puisse leur être ouverte et convoyer en même temps un enseignement plus proche de la Kabbale. Une rencontre fut à cet égard décisive, celle d'un moine francisquain K. Justus qui s'intéressait aussi à l'alchimie, de son vrai nom Bischoof. Ce franciscain avait passé plusieurs années au Moyen-Orient et avait été initié aux mystères de la kabbale juive par un certain Asaria, connaissance qu'il avait transmise à Hans Heinrich.

  C'est sur cette base que fut fondé en 1780-81 l'Ordre des Fratres Lucis (Die Ritter des Lichts), qui prendra ensuite le nom des Frères d'Asie (Die Brüder St. Johannes des Evangelisten aus Asien in Europa). L'obédience comportait cinq grades, les membres du degré le plus élevé étant appelés les Vrais Rose-Croix. L'Ordre était présidé par un suprême conseil du nom de Synedrion et leurs membres portaient un nom initiatique en relation avec la tradition juive. Dans un ouvrage anonyme français de 1789 portant comme titre Essai sur la secte des illuminés figure en annexe la description suivante :

« L'Ordre des Chevaliers et Frères initiés de l'Asie.

« Cet Ordre vient d'être connu tout nouvellement par deux petits ouvrages[10] : son origine paroît très moderne. Le premier qui en fit la découverte, suppose qu'il prit naissance à Vienne (...) Ce nouvel Ordre, si peu connu d'abord, s'est cependant déjà étendu depuis l'Italie jusqu'en Russie. Les hiéroglyphiques paroissent tous être pris de l'hébreu. La direction supérieure s'appelle le petit & constant Synedrion de l'Europe. Les noms des Employés, par lesquels ils se dérobent à leurs inférieurs[11], sont hébreux (...) On reçoit sans égard à la naissance & à la religion, chaque honnête homme qui croit en Dieu et le confesse publiquement. On exige seulement qu'il ait passé les trois premiers grades de la Franche-Maçonnerie dans une Loge de S. Jean ou de Melchisédech. Il est connu que les Loges de S. Jean ne sont que pour les Chrétiens : celles de Melchisédech, toutes aussi bonnes & conformes à la loi, existent en grande quantité, en Italie, en Hollande, en Angleterre, en Portugal, en Espagne & reçoivent des Juifs, des Turcs, des Perses et des Arméniens. Cet ordre est pour toute l'Europe destiné au grand but de l'union (...) L'Ordre a les véritables secrets & les éclaircissements moraux et physiques des hiéroglyphes du très vénérable Ordre de la Franche-Maçonnerie. Il y a cinq degrés de l'Ordre, sous les noms suivants : les Chercheurs, les Souffrants ; ceux-ci ne sont que des degrés d'épreuves ; après viennent les trois principaux, les Chevaliers et Frères Initiés de l'Asie en Europe, les Maîtres des Sages, les Prêtres Royaux, ou véritables Frères Rose-Croix, ou le grade de Melchisédech. Quand on est parvenu au degré principal, on est obligé, par son serment, de rester & de vivre dans l'Ordre, d'après les lois. Le Synédrion consiste en soixante & douze membres (...) L'initié promet une parfaite soumission & une véritable & inaliénable obéissance aux loix de l'Ordre (...) Il promet de ne persécuter aucun des différentes branches de la Franche-Maçonnerie, mais d'aimer & d'honorer tous les Frères des différents systèmes, & de leur faire du bien à tous, quelque différents qu'ils soient. Ceci marque le grand but de l'union. On doit tolérer aussi les différentes sectes, qui pourtant entre elles se traitent d'hérétiques, & pourroient être diffamées & persécutées (...) »

  Thomas von Schoenfeld, de son vrai nom Mosheh Dobruschka, participa également à la fondation du mouvement et apporta à son enseignement des éléments de la doctrine sabbathienne[12]. Cette spécificité hermétique des Frères d'Asie lui attira de nombreux membres, que ce soit dans la noblesse allemande - le landgrave Charles de Hesse, le duc de Liechtenstein, et les comtes de Westenburg ou de Thurn en furent membres - ou bien dans les élites juives qui trouvaient dans l'affiliation à l'Ordre un moyen de reconnaissance sociale. Malheureusement, lors du tumultueux convent maçonnique tenu à Wilhelmsbad en 1782, les frères von Ecker und Eckhoffen ne parvinrent pas à faire reconnaître officiellement leur organisation car les partisans de la Maçonnerie spiritualiste souhaitaient préserver celle-ci dans sa pureté chrétienne. C'est en 1784 que L'Ordre des Frères d'Asie en Europe devint totalement indépendant et reçut des statuts spécifiques, le premier article déclarant que :

« Tout frère, quelle que soit sa religion, sa classe ou son système de pensée, peut se joindre à l'Ordre pour peu qu'il manifeste sa qualité d'homme de bien, tant par sa pensée que par ses actes. Notre seul but étant le bien et le bien-être de l'humanité, celui-ci ne saurait dépendre d'aucune circonstance, fût-ce la religion la naissance ou la classe sociale au sein de laquelle un homme a pu être élevé. »

  En cette même année, H.H. von Ecker und Eckhoffen fait la connaissance à Vienne d'Ephraïm Joseph Hirschel, un étudiant à l'Université de Strasbourg dont le père était très versé en littérature kabbalisyique. En 1785, il nomme Hirschel secrétaire des Frères Asiatiques. L'Ordre connaît alors grâce à ses enseignements sur la kabbale un développement rapide et des Loges s'ouvrent à Prague, Innsbruck, Berlin, Francfort et Hambourg. D'après certaines sources, il semblerait même que Bischoffswerder et Wöllner se soient faits membres des Frères d'Asie au moment où la Rose-Croix d'Or commençait d'être contestée et à perdre son influence ? Carl von Ecker und Eckhoffen, le frère d'Hans Heinrich, dirigeait quant à lui les activités de la Loge d'Hambourg. Inquiet des effets à Vienne de la Freimaurerpatent, Hans Heinrich se rendit à Hambourg en vue de trouver de nouvelles protections en Allemagne du nord, notamment auprès des frères Ferdinand de Brunswick et le landgrave Charles de Hesse, régent pour le Schleswig alors sous tutelle du roi de Danemark. La mission fut couronnée de succès car Hans Heinrich réussit à convaincre en 1785 le landgrave Charles de prendre officiellement la direction de l'Ordre[13]. L'influence du mystérieux comte de Saint-Germain ne fut peut être pas étrangère non plus à cette décision.

  Les francs-maçons de Copenhague, craignant que de cefait les Frères d'Asie n'étendent leur influence au Danemark, décident, sous couvert du frère Friedrich Münter, de divulguer la constitution de l'Ordre des frères d'Asie avec une notice expliquant à quel point l'organisation est éloignée des usages et de la philosophie maçonnique des Lumières. Dans cet ouvrage publié sous couvert de l'anonymat et intitulé Autentische Nachrichtt von den Ritter - und Brüder - Eingeweihten aus Asien, Zur Beherzigung für Freymaurern (1787), l'auteur reproche aux Frères d'Asie de n'être qu'une nouvelle forme de la Rose-Croix d'Or et d'admettre comme membre des Juifs, contrairement aux usages en cours dans la Maçonnerie anglo-saxonne. Les frères von Ecker und Eckhoffen réagissent aussitôt et Hns Heinrich publie sous le titre de Abfertigung an denn ungenannten Verfasser der verbeiteten sogennanten : Autentische Nachrichtt von den Ritter - und Brüder - Eingeweihten aus Asien, Zur Beherzigung für Freymaurern (Hambourg, 1788) un mémoire relatant l'histoire de l'Ordre et sa « prétention en vertu de laquelle l'Ordre des asiatiques avait accès à la véritable interprétation de tout le symbolisme maçonnique ». Carl fait paraître sous le pseudonyme de Carl Ferdinand von Boscamp un texte intitulé Werden un koennen Israeliten zu Freimaurern aufgenommen werden (Hambourg, 1788) qui pose pour la première fois la question der la présence des Juifs au sein de la Franc-Maçonnerie. Ferdinand de Brunswick menaça cependant de subordonner son soutien officiel à l'Ordre à une mise à l'écart des Juifs, voire leur exclusion. Le landgrave Charles proposa en réponse un compromis consistant en la création d'une Loge distincte pour les membres juifs, dite Loge de Melchizedeck, qui impliquait par contrecoup la mise à l'écart de Hirschel (il se faisait désormais appeler Hirschfeld). Cette mise à l'écart entraîna un conflit entre Hirschfeld, qui reçut l'appui de Schoenfeld, et les frères Ecker und Eckhoffen, conflit qui allait mener rapidement à la disparition des Frères d'Asie, ceci d'autant plus qu'une Loge maçonnique acceptant les Juifs fut bientôt créée à Francfort lors de l'occupation par les troupes françaises. Cette Loge cosmopolite reprendra d'ailleurs, sous l'influence d'Hirschfeld, une partie des travaux des Frères Asiatiques. L'un des Frères, Franz J. Molitor, esprit particulièrement éclairé et tolérant qui entretenait de bonnes relations avec Hirschfeld, sut obtenir de Charles de Hesse que les Juifs prêtassent serment sur une Bible fermée et non sur l'Evangile de Saint Jean. Le retrait de Napoléon impliqua cependant le retour des difficultés pour les Juifs au sein des Loges allemandes, où la tendance conservatrice continua de prévaloir.

 

 

[9] McIntosh, p. 133.

[10] La remarque de bas de page précise : « I. Nouvelles authentiques des Chevaliers et Frères Initiés de l'Asie pour l'examen des francs-maçons. II. Reçoit-on, peut-on recevoir des Juifs parmi les francs-maçons ? Occasionnés par l'ouvrage d'un Anonyme, pour l'examen des francs_maçons. Nouvelles authentiques de l'Asie, par Frédéric de Bascamps, nommé Lazapoloki ».

[11] Une autre remarque précise : « Au surplus, il est ordonné que les mêmes noms restent dans l'Ordre ; Si un Frère meurt, son nom & sa place restent à celui qui le remplace ; ceci augmente l'impossibilité de connoître l'individu qui est caché sous telle dénomination ».

[12] Katz, Juifs et Francs-Maçons en Europe, p. 53. Cf. également Nefontaine et Schreiber Judaïsme et Franc-Maçonnerie.

[13] Les Francs-maçons de la ville s'en émurent et publièrtent de façon anonyme un pamphlet de huit pages intitulé : Umpartheiische und gründliche Nachricht von der Freymaürerloge der Juden und anderen geheimen Gesellschaten in Hamburg (1786).


 

Vous trouverez en fin de livraison une bibliographie succincte concernant notre sujet.

 

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