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ORDRE MARTINISTE DES RITES UNIS
7 juillet 2010

Les Frères Initiés d'Asie. III

SOURCES JEAN-MARC VIVENZA

 

Les Frères Initiés de l'Asie était une branche de l'Ordre de la Rose-Croix, puisque fondé en 1781 par Hans Henrich von Ecker und Eckhoffen (1750-1790) et son frère, Karl (1754-1809), qui furent écartés du mouvement rosicrucien en raison d'une vive polémique qui fit suite à la publication d'un sévère pamphlet au titre provoquant : Der Rosenkreuser in seiner Blösse (le Rose-Croix mis à nu), ainsi que par leurs affirmations publiques exprimant leurs radicales divergences touchant aux rites et à la doctrine, les Frères Initiés de l'Asie, qui adoptèrent comme signe de reconnaissance le svastika, possèdent la particularité, unique à l'époque, d'avoir ouvert leurs temples, et leurs travaux aux Juifs, afin de s'entourer de leurs lumières dans les recherches kabbalistiques.

Les Frères Initiés de l'Asie, qui prirent d'abord pour nom d'Ordre les Fratres Lucis (Die Rotter des Lichts) puis Die Brüder St Johannes des Evangelisten aus Asien in Europa, que l'on simplifiera en Frères Initiés d'Asie, sous la direction d'un aréopage de 72 membres, le « Petit et Constant Synédrion de L'Europe » se doteront d'un rite en 5 degrés, et orienteront, avec une rare rigueur et une remarquable énergie, l'ensemble de leurs activités en direction d'un ésotérisme de haut niveau. Aidé par un Juif converti, le baron Thomas von Schönfeld, de son vrai nom Mosheh Dobruschka, et un kabbaliste, Ephraïm Josef Hirschfeld, Hans Henrich von Ecker und Eckhoffen, et son frère Karl, organisèrent remarquablement leur Ordre et le dotèrent d'une structure cohérente qui, dans un premier temps, se révélera relativement efficace.

En effet, les Frères Initiés de l'Asie virent, assez rapidement, leurs rangs s'étoffer de manière significative, bénéficiant de la bienveillante protection du duc de Brunswick, et du prince Karl von Hessen-Kassel (1744-1836), qui accueillera même à sa cour, en 1787, le siège de l'Ordre. Pour devenir membre de l'Ordre, il fallait avoir été reçu aux trois premiers grades de la Franc-Maçonnerie, puis lorsqu'il était maître Maçon, l'impétrant était alors admis au sein d'un système en cinq degrés qui nous est ainsi décrit dans un ouvrage anonyme de 1789, qui pourrait avoir été rédigé par le marquis de Luchet : « L'Ordre a les véritables secrets et les éclaircissements moraux et physique des hiéroglyphes du très-vénérable Ordre de la Franche-Maçonnerie. Il y a cinq degrés de l'Ordre, sous les noms suivants : Les Chercheurs, les Souffrants, ceux-ci ne sont que des degrés d'épreuves ; après viennent les trois principaux, les Chevaliers et Frères Initiés de l'Asie en Europe, les Maîtres des Sages, les Prêtres royaux, ou véritables Frères Rose-Croix, ou le grade de Melchisédech. Quand on est parvenu au degré principal, on est obligé, par son serment, de rester et vivre dans l'Ordre, d'après les lois » (Anonyme du XVIIIe siècle, Essai sur la secte des illuminés, in R. Vanloo, L'Utopie Rose-Croix, op. cit., p. 225.)

Du point de vue de la nature des travaux, il apparaît, à l'examen, que des liens étroits se sont créés entre les Frères Initiés de l'Asie et le mouvement sabbatéen du judaïsme en Allemagne. Les Juifs sabbatéens, disciples du pseudo-« Messie » Sabbataï Tsevi (1226-1676) qui, emprisonné par les Turcs, à la stupéfaction générale, se convertit à l'Islam le 16 septembre 1666 (geste, selon Nathan de Gaza [1643-1680], qui signifiait la nécessaire descente dans « l'exil messianique » devant hâter la libération d'Israël), se caractérisaient par un étonnant rejet des principes talmudiques, et, engageant une interprétation ésotérique extrêmement surprenante des textes sacrés, avaient la singularité d'être ouverts aux tenants des trois grands courants religieux du monothéisme, c'est-à-dire non seulement les Juifs, et les chrétiens, mais, également, les mahométans, à l'imitation de leur prophète. Faisant fi, à une période encore peu disposée sur ces sujets, des règles religieuses d'exclusion du judaïsme normatif, las sabbatéens entrèrent facilement en relation avec les Maçons Rose+Croix, avec lesquels il leur fut aisé de trouver, comme on l'imagine sans peine, des points de convergence, et de nombreux centres communs d'intérêt.

Les enseignements d'Hirschfeld sur la kabbale enthousiasmaient les Maçons illuministes, et il ne tarda pas à se construire des Loges à Prague, Innsbruck, Berlin, Francfort et Hambourg. Cependant les Francs-Maçons de Copenhague, de sensibilité libérale, inquiets devant la rapide progression de l'Ordre, craignirent de voir s'établir des Loges au Danemark et, pour freiner l'expansion des Frères Initiés de l'Asie, prirent l'initiative de porter à la connaissance des initiés les règlements et la constitution de l'Ordre, ceci afin d'en démontrer le caractère peu conforme aux usages et à la pensée de la Franc-Maçonnerie originelle. On fit donc paraître, sous couvert de l'anonymat, un ouvrage critique, Autentische Nachrichtt von den Ritter - und Brüder - Eingeweiheten aus Asien, Zur Beherzigung für Freymauren (1787), qui attaquait violemment la présence de Juifs au sein de la Maçonnerie, expliquant le caractère contradictoire et non acceptable d'une telle présence dans une institution chrétienne. Aussitôt, Hans Henrich von Ecker und Eckhoffen, à Hambourg, répliquera par un argumentaire circonstancié intitulé : Abfertitung an denn ungenannten Verfasser der verbreiteten sogennanten : Autentische Nachrichtt von den Ritter - und Brüder - Eingeweiheten aus Asien, Zur Beherzigung für Freymauren (1788), dans lequel il démontrait que l'Ordre des Frères Initiés de l'Asie ne pouvait, en aucun cas, se comparer à la Maçonnerie en usage, puisque possédant « la véritable interprétation de toute la symbolique maçonnique », le soustrayant aux lois appliquées jusqu'alors. De son côté, Karl von Eker und Eckhoffen publiera un texte, Werden un koennen Israeliten zu Freimauren aufgenommen werden (1788), texte qui est, historiquement, le premier essai ayant développé un plaidoyer en faveur de l'appartenance des Juifs à l'institution maçonnique.

Quoiqu'il en soit, Ferdinand de Brunswick, devant les remous que provoquait cette polémique, souhaita que l'on écarta les Juifs de l'Ordre, et il fallut l'intervention du landgrave Charles pour calmer momentanément l'affaire, ce dernier proposant que l'on regroupe dans une Loge distincte, Loge « baptisée » Melchizedeck, les Frères juifs. Cette solution ne réussira à apaiser les esprits que pour peu de temps, Ephraïm Josef Hirschfeld, dont le rôle dans l'Ordre était central du point de vue doctrinal, n'acceptant pas cette mise à l'écart, entrant, comme il était prévisible, en conflit avec les dirigeants qui, finalement, prononceront son exclusion en 1790.

L'Ordre s'effondra rapidement après cette décision, qui fut d'ailleurs suivie, la même année, de la mort d'un des frères von Ecker und Eckhoffen. Seul Ephraïm Josef Hirschfeld put maintenir l'existence des Frères Initiés de l'Asie, apparemment jusqu'en 1820, non sans avoir été reçu, en 1808, dans une des premières loges allemandes à accepter les Juifs : « Saint Jean de l'Aurore Naissante ».


 

Vous trouverez en fin de livraison une bibliographie succincte concernant notre sujet.

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